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“Le talon d’achille des plateformes, ce sont les contenus”

Le contenu au centre de tout et encadré par rien. C’est l’état des lieux que dresse le consultant éditorial Pascal Béria dans son dernier livre “Le non-sens commun, pour une éthique des contenus”.

“Le non-sens commun, pour une éthique des contenus”, le titre de votre livre interroge le milieu de la communication…

Quand je parle de non-sens commun, ce que je veux donner à comprendre, c’est que l’économie des plateformes fixe les règles du jeu. On l’a vu récemment avec Facebook qui a décidé de son propre chef de réduire la portée des contenus politiques pendant les élections US. Une entreprise privée décide seule des informations qui vous seront accessibles… 

Autre non sens, selon moi : les injonctions contradictoires que nous essayons de respecter sans vraiment les comprendre. On nous dit qu’il faut produire moins de contenus et en même temps on nous explique que la fréquence est primordiale… On cherche la plus grande audience tout en personnalisant les contenus à l'extrême. Tout cela n’a plus aucun sens.

Une éthique des contenus, ça serait quoi concrètement ?

Une éthique des contenus répond en tout point aux préceptes du philosophe Paul Ricoeur, pour qui l’éthique doit viser « la vie bonne, avec et pour les autres, dans des institutions justes ». En d’autres termes, l’individu, le collectif et l’environnement institutionnel.

D’abord, ce serait de prendre conscience de ces fameuses injonctions, des risques qui vont avec et de poser ensemble des pratiques éthiques. Produire des contenus, c’est à la fois la responsabilité individuelle de porter une parole (quelle qu’elle soit), une responsabilité écologique et cognitive de plus en plus, et une responsabilité collective d’influence sur l'opinion publique (IA génératives, fake news, etc.). Poser un cadre éthique aux contenus passe à la fois par une conscientisation de cette responsabilité. Comprendre que chaque contenu que nous produisons a un impact. Il faut réfléchir à cet impact avant de produire quoi que ce soit, que ce soit un post ou une œuvre cinématographique.

Ensuite, ça passe par de la pédagogie. Il faut comprendre les mécaniques qui régissent les plateformes dont nous nous servons. Savoir quels sont les risques qu'il y a à s'en servir. Penser avant de publier. Ça s'apprend dès les bancs de l'école et dans les foyers. Ça passe ensuite par l'encadrement des pratiques. Je suis un fervent partisan de la réglementation. L'histoire nous a montré qu'il ne faut pas attendre une quelconque réforme volontaire des acteurs du numériques. Leur modèle fondé essentiellement sur l'économie de l'attention est délétère mais c'est lui qui assure leur prospérité et leur pouvoir. Il n'y pas de raison objective qu'ils en changent. Il n'y a que par la contrainte qu'on peut les faire changer.

Réglementer internet ne fonctionne pourtant pas.

La réglementation européenne sur les services numériques a déjà fait bouger des lignes. Rappelez-vous aussi de la RGPD qui a fait des émules dans pas mal d'autres pays. Donc faire plier - en partie - les géants du numérique, c’est possible même s’ils s’adaptent très vite. Cependant, chercher à réglementer le réseau est compliqué, car cela se joue hors sol à l'échelle mondiale, avec des règles qui ne sont pas communes et sur un terrain technologique qui est celui des acteurs du numérique et pas celui du régulateur.

Je pars du principe que le talon d’achille des plateformes, ce sont justement les contenus qui restent pour l'instant de notre ressort. Nous sommes donc susceptibles, collectivement, de dire ce que nous voulons en faire. On le voit depuis quelques mois avec la réglementation autour des influenceurs. L'arrivée des IA génératives risque de changer les choses.

Et au-delà d’une éventuelle réglementation qui prendra du temps, nous pouvons déjà nous conscientiser, nous auto-réguler et éduquer les nouvelles générations aux règles éthiques des contenus.